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Prise de vue de la salle contenant ASTER.
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ASTER : accélérer la matière pour mieux la ralentir

C’est au Centre de Recherche et d'Enseignement en Géosciences de l'Environnement (CEREGE) sur le campus de l’Arbois que l’on peut retrouver un instrument national : le Laboratoire National des Nucléides Cosmogéniques (LN2C) et son spectromètre de masse par accélérateur ASTER. Visite guidée de cette véritable machine à remonter le temps avec Lionel Siame. 

Temps de lecture : 7 minutes

Etablir des chronologies grâce aux nucléides cosmogéniques 

Les nucléides cosmogéniques comme le 10Be, le 14C ou encore le 36Cl sont des outils incontournables pour établir des chronologies en sciences de la terre. Ces nucléides sont créés lorsqu’une particule du  rayonnement cosmique interagit avec le noyau d’un atome. 

La datation par nucléide cosmogénique est une méthode de datation qui exploite les nucléides cosmogéniques que l'on retrouve à l'état de traces dans l'environnement, dans les roches ou les sols par exemple. Elle permet de mesurer l'âge d'exposition des échantillons, c'est-à-dire la durée depuis laquelle ils sont exposés au rayonnement cosmique.

La Terre a un champ magnétique qui filtre les rayonnements cosmiques en plus de son atmosphère. L’essentiel des particules cosmiques est atténué par l’atmosphère. La production de ces isotopes cosmogéniques au niveau du sol est dépendante de la variabilité du champ atmosphérique terrestre. Plus le champ est faible, plus la production d’isotopes sera élevée, car la filtration du champ magnétique est moindre. A l’inverse, plus le champ atmosphérique est fort, plus la production d’isotopes cosmogéniques sera faible, car le champ magnétique filtrera davantage. 

L’accès à ces mesures de concentrations d’isotopes est un enjeu fort en géosciences en ce qui concerne l’étude du changement climatique, de la transition environnementale ou encore des risques sismiques par exemple. 

Deux techniques d’utilisation des nucléides cosmogéniques

Les particules du rayonnement cosmiques secondaires générées dans l’atmosphère pénètrent dans le sol, ce qui entraîne des réactions nucléaires dans les minéraux des roches. Les nucléides cosmogéniques se produisent dans les minéraux comme la silice. Le quartz est un exemple de silicate très résistant au temps et abondant à la surface du globe, donc très utilisé en géochronologie. Il est également facile à purifier, ce qui permet de récupérer les isotopes d’intérêt.

Il y a deux utilisations des isotopes cosmogéniques : la datation ou la détermination de la vitesse de dénudation. Mesurer la concentration accumulée en isotopes cosmogéniques, revient à mesurer la durée d’exposition aux rayonnements cosmiques. Plus il y a d’isotopes, plus la surface étudiée a été exposée longtemps aux rayons cosmiques.    

Etudier la vitesse de dénudation de la surface permet de quantifier  l’évolution des paysages grâce aux bombardements cosmiques dont ils ont fait l’objet. Ainsi, une surface exposée va d’abord voir sa concentration augmenter, avec une concentration inversement proportionnelle à la vitesse de dénudation de la surface lorsque l’érosion met en mouvement le sable et les roches par exemple.

L’idée d’utiliser les nucléides cosmogéniques pour établir des chronologies a été émise dans les années 50, mais à l’époque, il n’y avait pas la capacité d’en mesurer la concentration. Aujourd’hui, il existe la solution : le spectromètre de masse par accélérateur !

ASTER, un spectromètre de masse par accélérateur

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C’est sur le campus de l’Arbois, à quelques pas du CEREGE, que se trouve le Spectromètre de Masse par Accélérateur ASTER (Accélérateur pour les Sciences de la Terre, l’Environnement et les Risques), instrument national inscrit au RéGEF et plateforme Aix-Marseille. La spectrométrie de masse par accélérateur consiste à isoler les éléments en fonction de leur masse (spectrométrie de masse classique) mais grâce à l’accélération et le passage au travers d’une feuille épaisse de de nitrure de silicium quelques micromètres il est possible de de séparer les atomes de masses identiques (isobares) mais dont les noyaux (protons + neutrons) sont différents.

Prenons l’exemple du béryllium 10. Celui-ci a un isobare 10B (bore 10) qui est présent de façon abondante dans la nature. Deux isobares possèdent le même nombre de nucléons (ici 10), mais un nombre de protons différent (4 pour le 10Be et 5 pour le 10B). Le 10Be, qui a quatre protons, se déplacera plus rapidement à travers la feuille que le 10B qui en a cinq. L’accélérateur va donner suffisamment d’énergie aux isotopes cosmogéniques pour qu’ils traversent la feuille, ce qui permet ensuite de les séparer et les compter.

Préparer les échantillons

Lors de la préparation des échantillons, les chercheurs partent d’une roche pour en extraire le quartz. Un kilo de roche leur permet de récupérer jusqu’à quelques centaines de grammes de quartz qu’il s’agit ensuite de purifier. La purification du quartz retire le 10Be atmosphérique adsorbé sur le contour des grains, grâce à des dissolutions par acide. Cela permet d’obtenir uniquement le quartz « pur » présent naturellement au sein même du quartz. Ce quartz fait ensuite l’objet de plusieurs chromatographies sur résine pour en extraire l’isotope cosmogénique recherché, ici le 10Be par exemple qui est produit « in situ », c’est-à-dire dans le minéral.

Photo d'une main gantée en laboratoire qui tient un échantillon de quartz en solution dans un tube suite à la préparation d'un échantillon.
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Attention, la spectrométrie de masse par accélérateur permet de mesurer le rapport isotopique 10Be / 9Be, et non pas la concentration en 10Be. C’est pourquoi on pèse la quantité de quartz extrait et mis en solution afin d’y ajouter le spike, c’est-à-dire la quantité de 9Be que l’on connait pour fixer le rapport 9Be/10Be. 

Arrivée de l’échantillon à ASTER et passage dans la machine

L’échantillon arrive sous forme de poudre à laquelle les chercheurs ajoutent un conducteur de courant. Le tout est conditionné pour être placé dans une cathode en cuivre qui, elle, sera placée dans la source de la machine. En parallèle des échantillons mesurés, les scientifiques placent des blancs de contrôle afin d’évaluer la qualité de leur chimie. Selon les échantillons testés (10Be, 36Cl), cette roue est placée dans l’une des deux sources de la machine. 

Photo d'une main qui place l'échantillon de 10Be dans la roue qui sera placée dans la machine.
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L’échantillon ionisé passe par un grand aimant sélectionne la masse à injecter dans l’accélérateur : une grosse bombonne remplie de gaz isolant. Entre l’entrée et la sortie de la bombonne, l’accélération va passer de 30 000 volts à 5 millions de volts. Au centre de l’accélérateur, le faisceau traverse un gaz d’argon. Celui-ci va éplucher les molécules d’oxygène pour ne conserver que les isotopes comme le béryllium ou le bore ou bien le chlore et son isobare le soufre. 

Prise de vue de la salle contenant ASTER.
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A la sortie de l’accélérateur, se situe des lentilles électromagnétiques qui refocalisent le faisceau. Une fois refocalisé, le faisceau passe un second aimant puis dans un gros cylindre ou est mesuré l’élément stable ( 9Be par exemple). Le 10Be et le bore traversent ensuite la feuille micrométrique qui ralentit les isobares. Enfin, un passage dans un dernier aimant dévie les isobares une bonne fois pour toutes, ce qui permet au 10Be de continuer sa course seul et être mesuré en fin de course sur des capteurs électroniques. C’est cette mesure précise du nombre d’atomes qui va permettre de dater avec précision l’échantillon de roche choisi au départ. 

Prise de vue d'une partie de la machine ASTER
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Un outil fédérateur

Le laboratoire national de Nucléides Cosmogéniques (LN2C), implanté au CEREGE, donne à la communauté nationale et internationale un accès inégalé aux mesures de nucléides cosmogéniques. ASTER est un outil fédérateur qui intéresse les équipes transverses et donne lieu à de nombreuses collaborations internationales. 

Dans le cadre du service national, les échantillons peuvent être envoyés directement au laboratoire et leur préparation et mesure seront intégralement assurées par les ingénieurs du LN2C. Les chercheurs et étudiants d’autres universités peuvent également venir préparer eux-mêmes leurs échantillons dans les laboratoires du LN2C. Cela leur donne l’opportunité de se former aux techniques sous la supervision des ingénieurs et chercheurs locaux.

L’une des ambitions des équipes du LN2C est de donner l’accès à cette technologie aux pays du Sud ce qui accélère la mise en place de projets et de thèses. Chaque année, ce sont un ou deux étudiants qui viennent apprendre les techniques nécessaires au laboratoire afin d’exporter la préparation des échantillons dans leur laboratoire d’origine. 

Pour l’ensemble du travail détaillé dans cet article, ainsi que l’accompagnement dans le cadre de leur service national, l’équipe LN2C Aster a été lauréate du cristal collectif du CNRS 2023 dans la catégorie « Appui direct à la recherche ». Le cristal collectif distingue des équipes de femmes et d’hommes, personnels d’appui à la recherche, ayant mené des projets dont la maîtrise technique, la dimension collective, les applications, l’innovation et le rayonnement sont particulièrement remarquables. Cette distinction est décernée dans deux catégories : « Appui direct à la recherche » et « Accompagnement de la recherche ». Toutes nos félicitations à l'équipe lauréate !

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Siame
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Lionel
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Enseignant-chercheur à Aix-Marseille Université au Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CEREGE)