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110 femmes scientifiques : d’Hypatie aux Nobels

Maître de conférences à Aix-Marseille Université et chercheure au Centre de Physique Théorique, ce ne sont pourtant pas ses recherches en physique théorique qu’Adeline Crépieux est venue raconter dans cette interview. Pendant des années, c’est un autre travail de recherche qu’elle a mené en parallèle : celui de faire sortir les femmes scientifiques du passé et leurs découvertes de l’ombre. 

Temps de lecture : 7 minutes

Fanny Trifilieff : Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Adeline Crépieux : Je suis maître de conférences à l’UFR Sciences d’Aix-Marseille Université depuis une vingtaine d’années. Je suis rattachée au Centre de Physique Théorique où je travaille sur la modélisation du transport électronique dans des systèmes de taille nanoscopique.

F.T : Comment l'idée d'écrire cet ouvrage vous est-elle venue ?

A.C : L’idée a pris racine doucement. C’est un sujet auquel je m’intéresse depuis plus de dix ans. Tout est parti d’un constat fait pendant mes études puis ma vie professionnelle : en étudiant des théorèmes ou des formules, on rencontre des noms de scientifiques qui font, la plupart du temps, référence à des hommes. Dans ma discipline, la physique, mais aussi en mathématique, les femmes chercheures restent une minorité. Mon travail est parti de l’idée qu’il y avait bien dû y avoir des femmes ayant contribué aux différents domaines scientifiques au cours de l’Histoire. En creusant la question, j’ai effectivement trouvé des noms de femmes dont certains ont été attribués à des théorèmes, comme celui de Noether (Emmy Noether ndlr) ou encore celui de Cauchy- Kowalevski (Augustin Cauchy et Sofia Kovalevskaïa, ndlr).

Petit à petit, j’ai collecté ces noms de femmes scientifiques, surtout des mathématiciennes et des physiciennes au début, mais ensuite mes recherches se sont élargies. J’ai commencé par recenser mes trouvailles sur un site internet, puis l’idée d’en faire un ouvrage qui regrouperait ces personnes pour raconter leurs vies a émergé. Mon envie s’est renforcée avec le fait que lorsque je consultais des dictionnaires de physiciens et de mathématiciens, les femmes en étaient quasi absentes. Je me suis notamment aperçue que certaines femmes ayant fait de grandes découvertes n’y étaient même pas citées. Pourtant, elles avaient très souvent une raison d’y avoir leur place. Cet ouvrage illustre ma volonté de mettre à l’honneur les femmes scientifiques dont le travail a été passé sous silence. 

F.T : Justement, comment fait-on pour trouver des informations sur des femmes dont le travail a été occulté au cours de l’Histoire ?

A.C : Je pense que le fait que je sois chercheure m’a aidé à me lancer dans ce grand travail. Je me suis documentée par tous les moyens possibles, en particulier au moyen de livres d’histoire écrits en français et en anglais (bien plus fournis sur cette question). Il y a aussi un certain nombre d’articles universitaires au sujet de certaines femmes scientifiques. Il m’a fallu les trouver et les décortiquer. Pour certaines personnalités, il y a beaucoup de documentation disponible donc c’était plutôt un travail d’extraction des informations de la masse de références. Pour d’autres, c’est plus compliqué, car il existe peu de documents et que beaucoup de choses ont été perdues. Dans ce cas-là, c’est plus complexe et j’ai alors pris contact avec des historiens. Il faut toujours vérifier et recouper les informations, parce que ce qu’on trouve, notamment sur Internet notamment, s’avère trop souvent erroné. Ça a été un travail de longue haleine. 

F.T : Comment avez-vous choisi les 110 femmes qui se trouvent dans le dictionnaire ?

A.C : Au fil des années, j’ai rassemblé beaucoup plus de noms que les 110 qui se trouvent dans l’ouvrage. J’en avais facilement le double. Je me suis focalisée sur six disciplines scientifiques : la physique, les maths, l’informatique, la chimie, la biologie et l’astronomie. Évidemment, il y a bien d’autres personnalités à mettre en lumière en médecine, paléontologie, en botanique, etc. Mais j’ai été obligée de faire des choix pour ne pas me disperser. Ensuite, le choix en lui-même a été orienté par l’éditeur qui m’a conseillé de me limiter aux femmes dont le décès est antérieur à 1950. La raison ? Plus on se rapproche des années actuelles, plus c’est difficile de dire quelles recherches vont rester dans l’Histoire. J’ai tout de même négocié pour qu’apparaissent toutes les femmes qui ont remporté un prix Nobel ou bien une médaille Fields.

F.T : Aviez-vous une ambition particulière en écrivant ce livre ?

A.C : Au départ, pas du tout. Ça peut paraître égoïste, mais si j’ai travaillé sur cette question, c’est avant tout parce que ça m’intéressait personnellement. Quand j’en ai fait un site web, c’était une façon de rassembler ces portraits et d’avoir un panorama global. Là, j’ai commencé à me dire que ce serait intéressant à partager, et ça s’est confirmé puisqu’il se trouve que le site était extrêmement fréquenté. Entièrement rédigé en anglais, il était particulièrement fréquenté par les pays anglo-saxons, notamment des écoles aux États-Unis. Je ne m’attendais pas à un tel engouement, mais ça traduit un véritable besoin d’en savoir plus sur ces personnalités méconnues.

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Couverture de l'ouvrage "Petit dictionnaire illustré des femmes scientifiques: 110 noms, d’Hypatie aux récentes nobélisées" par Adeline Crépieux aux éditions Ellipses

Il n’existe pas de version récente d’un dictionnaire de femmes scientifiques. En voyant la fréquentation du site, je me suis lancée dans l’idée d’écrire ce dictionnaire. J’ai trouvé un éditeur qui a accepté de me publier et j’ai mis deux ans à écrire le manuscrit. En rédigeant les notices de chaque femme, je me suis rendu compte que pour arriver à se former et à travailler, la plupart de ces femmes ont dû surmonter d’énormes difficultés. Les universités n’ont été accessibles aux femmes que très récemment dans l’Histoire. En écrivant et en faisant des recherches, j’ai découvert qu’à travers les différents pays, même si les universités n’étaient pas ouvertes aux femmes, il y a eu des écoles privées ou non, qui ont été mises en place pour permettre à certaines d’entre elles de se former. Je n’en avais absolument pas conscience, et ça paraît important d’en parler, de le transmettre aux générations actuelles et futures. 

F.T : Enfin, y a-t-il une femme dont l’histoire et le travail vous a particulièrement marqué ?

A.C : C’est une question difficile parce qu’à chaque fois que j’écrivais la notice d’une femme, elle devenait ma préférée du moment. La recherche d’informations est laborieuse, mais quand on en arrive à rédiger la notice, c’est la partie plaisante du projet. C’est très difficile de choisir parce qu’elles ont toutes quelque chose de spécifique. Mais je vais quand même essayer de donner des noms !

J’aime beaucoup les mathématiciennes parce que je trouve admirable ce qu’elles ont réussi à faire avec le peu de moyens d’éducation qu’elles avaient, notamment Sofia Kovalevskaïa que j’ai déjà cité tout à l’heure. J’aime aussi beaucoup Sophie Germain, une mathématicienne française, née en 1776. Elle est née à une époque où les femmes n’étaient pas autorisées à se former dans les universités, et sa famille n’était absolument pas d’accord initialement pour qu’elle fasse des mathématiques. Sauf qu’elle les maths, c’est tout ce qui l’intéressait. Elle s’est arrangée pour récupérer les cours auprès d’étudiants de l’école Polytechnique et se former par elle-même. Ensuite, elle a pris l’identité d’un étudiant de cette même école pour correspondre avec des mathématiciens. Elle a notamment écrit à Carl Friedrich Gauss en se faisant passer pour un homme. C’est seulement plus tard que Gauss a appris qu’il correspondait non pas avec un homme, mais avec une mathématicienne, et il en a été d’autant plus impressionné. Les principaux travaux de Sophie Germain concernent les surfaces élastiques pour lesquels elle a gagné le Grand prix de sciences mathématiques de l’Académie des sciences en 1815. Elle s’est aussi intéressée au théorème de Fermat, un théorème mathématique qui n’était pas encore résolu à l’époque, auquel elle a apporté des avancées. 

Pour finir, et de façon générale, je constate que quand il s’agit des femmes scientifiques, on pense toujours à Marie Curie, mais en fait, c’est presque dommage, car ça cache tellement d’autres femmes qui ont fait des découvertes incroyables.
 

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Dessin représentant Sophie Germain, mathématicienne. 

Le « Petit dictionnaire illustré des femmes scientifiques – 110 noms, d’Hypatie aux récentes nobélisées » par Adeline Crépieux est disponible aux éditions Ellipses depuis juin 2023. L’ouvrage a été labellisé par le CNRS dans le cadre de l’année de la Physique 2023-2024. 

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Crépieux
Prénom
Adeline
Fonction
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Maître de conférences AMU rattachée au Centre de Physique Théorique (AMU/CNRS/Université de Toulon)
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