Aller au contenu principal
Migrantes_VS_DUMG

Incidence des violences sexuelles chez les demandeuses d'asile

La prévention des violences sexuelles commises à l'encontre des femmes demandeuses d'asile peu de temps après leur arrivée dans les pays d'accueil nécessite de connaître leur incidence. C’est pourquoi, des médecins du Département universitaire de médecine générale d’Aix-Marseille Université et du laboratoire CEReSS ont mené une étude de cohorte rétrospective qui a révélé l’incidence élevée des violences sexuelles chez les femmes demandeuses d'asile récemment arrivées en France.

Temps de lecture : 6 minutes

En 2021, il y a eu 535 000 nouveaux demandeurs d’asile dans l’Union Européenne, dont 31% de femmes. S’agissant de la France la même année, 18 768 femmes de plus de 18 ans ont déposé leur première demande d’asile. L’Organisation mondiale de la Santé indique que les femmes exilées, pour échapper à la guerre ou aux persécutions, sont particulièrement vulnérables aux violences sexuelles (VS) peu de temps après leur arrivée dans leur pays d’accueil.

Cette étude avait pour but de fournir une estimation de l’incidence des violences sexuelles subies par les femmes demandeuses d'asile arrivées depuis moins de deux ans en France. La population source a été identifiée auprès de l’Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) et concernait particulièrement les femmes déclarées auprès de la préfecture de la région Sud. Entre le 1er octobre 2021 et le 31 mars 2022, ce sont 1 299 femmes qui ont été identifiées via l’OFII comme étant éligibles pour participer à cette étude. Entre celles qui étaient injoignables, celles qui ont refusé de participer ou encore celles qui ne se sont pas présentées au premier rendez-vous, ce sont finalement 273 femmes qui ont été incluses dans l’étude. Enfin, le choix a été fait de ne pas restreindre la cohorte étudiée aux seules femmes hébergées dans les structures d’accueil pour éviter un biais de sélection.

Un questionnaire pour définir ce qui a été subi

L’étude par questionnaire a été menée sur une durée de six mois. Ce sont des enquêtrices qualifiées qui ont appelé les femmes éligibles pour leur présenter l’étude et leur proposer un rendez-vous dans l’un des hôpitaux partenaires. Elles ont expliqué qu’il s’agissait d’étudier les conditions de vie des demandeuses d’asile dans leur pays d’accueil et leur exposition potentielle aux violences sexuelles. Si les femmes ne souhaitaient pas se déplacer, un rendez-vous téléphonique confidentiel leur était proposé à la place.

Après avoir établi leurs profils socio-démographiques (âge, enfants à charge, relation de couple avec un partenaire en France, origine géographique, niveau d’éducation, source de revenu et hébergement pendant la majeure partie de l'année précédente), quatre questions portaient sur la survenue d’exhibitions sexuelles, d’agressions sexuelles, de viols et de tentatives de viol au cours de l'année écoulée. Il suffisait que la réponse à l’une de ces quatre questions soit positive pour qu’une participante soit considérée comme ayant été victime de violence sexuelle. Les chercheurs prenaient également en compte si les femmes avaient déjà subi des violences sexuelles, notamment un viol ou une mutilation des organes génitaux, avant leur arrivée en France.

L’accès à l’hébergement : un facteur clé

En France, 0,26% des femmes déclarent avoir subi un viol au cours de l’année écoulée, ce qui est plus de 18 fois inférieur au nombre de cas signalés par les femmes demandeuses d'asile incluses dans l'étude. De même, l'incidence annuelle de la violence sexuelle (2,9 %) et du viol ou de la tentative de viol (0,31 %) dans la population générale est au moins 9 fois inférieure à celle observée dans notre étude. Les résultats de l’étude menée semblent indiquer que les femmes demandant l’asile sont plus fréquemment exposées aux violences sexuelles dans cette région étudiée que la population générale. Il convient toutefois de noter qu’avec le nombre limité de femmes participantes (273 sur 1 299 éligibles), il est possible que les violences sexuelles de l’étude aient été surestimées par une plus grande participation des victimes de VS qui se sont peut-être senties plus concernées. Il est possible aussi que l'incidence ait été sous-estimé, car certaines femmes n'ont pas souhaité participer en nous expliquant qu'elles ne voulaient pas revenir sur les violences sexuelles qu'elles avaient vécues. Pour d'autres, le conjoint n'a pas voulu qu'elles participent.

Les résultats mettent également en évidence le rôle que joue l’hébergement dans ce contexte. Près d’une femme sur trois incluse dans l’étude n’a pas reçu d’aide au logement au cours de l’année écoulée.  Une association significative a été retrouvée entre cette condition, absence d'aide pour le logement, et la survenue d'agressions sexuelles À travers cette étude, les chercheurs ont donc montré que les femmes demandant l’asile sont surexposées aux violences sexuelles. Cette surexposition aux violences sexuelles semble encore plus élevée chez les femmes sans partenaire présent en France, celles qui sont originaires d'Afrique de l'Ouest ou bien celles ayant déjà subi des violences sexuelles avant leur arrivée en France.

L’importance de l’accès aux soins de santé primaires

Cette étude a été menée, entre autres, par des médecins du Département universitaire de médecine générale d’Aix-Marseille Université (DUMG). Ce département assure la formation des internes de la spécialité de médecine générale, et conduit des activités de recherche clinique, centrées sur la qualité des soins de santé essentiels apportés aux patients et sur l’efficacité des systèmes de santé. Les axes de recherche sont adaptés au contexte de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, aux problématiques touchant les populations de patients vulnérables (précarité, migration, interculturalité, addictovigilance, multimorbidité), et au contexte sanitaire contemporain (vaccination, controverses scientifiques, incertitude et décision médicale, pharmacovigilance). Composé de médecins généralistes en exercice, affiliés à différentes unités de recherche, le DUMG conduit des partenariats aux niveaux local, national et international, notamment avec le Centre d’études et de recherche sur les services de santé et la qualité de vie (CEReSS) qui a participé à cette publication.

Cette enquête de santé publique inédite met en lumière l’importance de l’accès aux soins de santé primaires à l’ensemble de la population. Ces soins de santé primaires garantissent que chaque personne reçoive des soins complets et de qualité. Selon l’OMS et l’UNICEF, ils constituent une approche de la santé tenant compte de la société dans son ensemble qui vise à garantir le niveau de santé et de bien-être le plus élevé possible et sa répartition équitable en donnant la priorité aux besoins des populations le plus tôt possible tout au long de la chaîne de soins. Un parcours allant de la promotion de la santé et de la prévention des maladies au traitement, à la réadaptation et aux soins palliatifs, et en restant le plus proche possible de l’environnement quotidien des populations.

Dans le cas de cette étude, moins d’une femme sur dix a consulté un médecin ou les forces de l’ordre suite aux violences. Plus de la moitié des femmes ayant subi des actes de violence n’ont pas demandé d’aide du tout. Suite à leur participation à cette étude, toutes les femmes se sont vu proposer des soins de santé conformes aux recommandations de l'OMS et de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés en matière de violences sexuelles, c’est-à-dire des soins proposés par des services de soins primaires expérimentés proches de leur lieu de résidence. Les femmes qui le souhaitaient pouvaient également bénéficier de mesures de protection en collaboration avec l'OFII.

La prévention des violences sexuelles à l’arrivée des femmes migrantes en France représente donc un enjeu majeur de santé publique. Les résultats de cette étude fournissent des informations précieuses pour permettre la mise en place de politiques publiques afin d’empêcher, ou de détecter le cas échéant, les violences sexuelles parmi les demandeuses d’asile.

Contact à ajouter
Nom
Nom
Khouani
Prénom
Jérémy
Fonction
Fonction
Chef de clinique en Médecine générale
Informations complémentaires
Contact à ajouter
Nom
Nom
Jego-Sablier
Prénom
Maeva
Fonction
Fonction
Maître de conférences en Médecine générale
Informations complémentaires