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Pourquoi étudier les pratiques et les publics de la culture ?

C’est au sein du Centre Méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire (MESOPOLHIS) que l’on retrouve une structure unique en France dans son format : l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture.  A quoi pourrait bien servir un observatoire pareil ? Pourquoi s’intéresser à la culture et à ceux qui la pratiquent ? Entretien avec Sylvia Girel, sociologue et coordinatrice du projet. 

Temps de lecture : 10 minutes

Fanny Trifilieff : A quoi sert un observatoire des publics et des pratiques de la culture ?

Sylvia Girel : Il y a différents types d’observatoire dans le domaine de la recherche en sciences sociales en France sur des sujets très variés, inégalités, travail, consommation, jeunesse, etc. Globalement leurs objectifs sont d’observer, d’analyser, de produire des résultats et des données pour comprendre les phénomènes sociaux et leurs évolutions. L’observatoire des publics et des pratiques de la culture a aussi ces objectifs, mais sa spécificité est de se positionner à l’interface des mondes de la recherche, des mondes sociaux et des mondes de la culture. Nous réalisons des études, des enquêtes et des expertises, qui permettent de décrire et de comprendre les publics, leurs pratiques, leurs opinions et représentations, et de faire des préconisations concrètes. Cela répond à une forte demande dans de nombreux domaines de la culture, mais aussi à la nécessité, dans de nombreux projets culturels, scientifiques, ou autres, d’évaluer et de mesurer l’impact des actions. 

F.T : Quelle est la genèse de ce projet ?

S.G. : L’idée s’est stabilisée lors de Marseille-Provence 2013. Avec l’aide de jeunes chercheurs, j’ai mis en place une étude pour comprendre les pratiques et observer les publics lors de cette année de capitale européenne de la culture. Mais l’idée germait depuis des années grâce à mon parcours de sociologue. Je me suis aperçue qu’il y avait beaucoup de structures et de dispositifs existants qui mènent des études sur les pratiques et les publics : le Département des études de la prospective, des statistiques et de la documentation (DEPS) du ministère de la Culture, l’Office de coopération et d’information muséales (OCIM), des cabinets d’études ou encore les services des publics au sein même des musées et des lieux culturels. Je pense par exemple à celui du MuCEM avec lequel nous collaborons. 

Photo prise du MUCEM lors de Marseille-Provence 2013.
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Photo prise du MUCEM lors de Marseille-Provence 2013.

Côté recherche, il y a aussi toutes les recherches faites par les sociologues, doctorants dans le cadre de leurs travaux de recherche. Nous sommes également directement sollicités pour des enquêtes, mais du côté des non-spécialistes, il peut être difficile de repérer et de s’orienter dans toutes ces enquêtes et de savoir où s’adresser si l’on souhaite en faire faire une.

Concernant l’observatoire, je suis partie du constat qu’il n’existait pas de dispositif pour des études territorialisées sur un périmètre comme celui d’Aix-Marseille par exemple. Les territoires y sont spécifiques et l’offre culturelle, souvent très riche, a ses caractéristiques propres qui diffèrent de celles d’autres territoires. Un deuxième point important est qu’il n’existait pas de structure liée à une université, qui s’appuie sur ses chercheurs et qui implique les étudiants. Donc, créer un observatoire des pratiques et des publics adossé à une université, porté par des chercheurs, et dont le terrain est son périmètre, était une proposition innovante et à ma connaissance unique en France. Il existe de nombreux observatoires, mais pas avec ces caractéristiques. Par exemple, il y a l’observatoire des politiques culturelles à Grenoble. Il travaille avec des universitaires, des chercheurs, mais c’est un organisme national qui cible les politiques culturelles.

F.T : Comment cette idée a été accueillie au sein de l’université ?

S.G : Le fait de fédérer une équipe d’une vingtaine de jeunes chercheurs autour de ces questions lors de Marseille-Provence 2013 m’a confortée sur la possibilité de construire une vraie équipe sur le long terme. L’avancée suivante s’est faite lors du développement d’enquêtes autour de la culture scientifique. D’un côté, une demande de la Région pour connaitre les publics collégiens et lycéens et leur appréhension de la culture scientifique. De l’autre, la sollicitation et un soutien de la part de Nicolas Claire, le Vice-Président Culture et Patrimoine Scientifique de l’époque, et de la cellule de culture scientifique. Ils souhaitaient intégrer plus largement la question des publics et des pratiques sur ce que proposait l’université en termes d’action de culture scientifique. 

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Crédit : Eléa Ropiot

Le projet d’un observatoire des pratiques et publics de la culture était aussi en adéquation avec la volonté du ministère de développer le dialogue « sciences et société ». Avec cette entrée par la culture scientifique, c'était le moment parfait pour lancer le projet ! Avec Nicolas Claire, nous y avons réfléchi : j’ai présenté des résultats de recherche et des méthodologies sur lesquels nous appuyer et mobilisé les jeunes chercheurs et chercheuses avec lesquels je travaillais déjà. Nicolas Claire a, de son côté, sollicité d’autres chercheurs, tout en présentant et défendant le projet auprès de la gouvernance. Celui-ci a été accepté et a obtenu des financements.  Après quelques étapes, il a été décidé que l’observatoire serait porté par MESOPOLHIS, le laboratoire auquel je suis rattachée, et que je le coordonnerai. 

F.T : Pourquoi le choix d’un observatoire comme structure ?

S.G : Toutes les enquêtes que je mène depuis ma thèse sont très orientées recherche-action et sciences et société. Je suis aussi très investie sur la recherche/création. Aujourd’hui cette façon de faire est mise en avant. On nous attend aussi beaucoup plus qu’avant sur la vulgarisation, mais cela pouvait être mal perçu il y a quelques années, la recherche-action étant considérée comme moins « scientifique » du côté des mondes académiques et suscitant une forme de méfiance du côté des mondes culturels. De mon côté, j’ai toujours travaillé de façon collaborative, sur le terrain, avec de jeunes chercheurs et en lien avec les acteurs et les lieux culturels. Une structure telle qu’un observatoire est un entre-deux parfait. Un laboratoire peut être craint par les acteurs culturels et socio-économiques qui s’attendent parfois à quelque chose de très théorique et hors sol. En même temps, ce n’est qu’en travaillant avec des laboratoires de recherche qu’ils peuvent bénéficier de vraies enquêtes sociologiques menées par des professionnels et dont les résultats peuvent être exploités sur le long terme, grâce notamment à leur comparabilité. 

F.T : Comment l’observatoire est-il organisé ?

S.G : Au lancement, j’ai tout de suite perçu qu’il fallait de hauts niveaux de qualification pour coordonner les enquêtes, ce qui implique le recrutement de postdoctorants. Il fallait des personnes sur lesquelles m’appuyer, qui étaient formées à la méthodologie de travail et qui avaient de l’expérience de ce terrain ainsi qu'une connaissance de ses spécificités. Grâce au budget, j’ai pu recruter deux postdoctorantes (Maria Elena Buslacchi, Elisa Ullauri) et deux ingénieurs d’études sur des projets spécifiques (Alexia Cappuccio a travaillé avec Alexandre Joux à l’IMSIC et Sami Dendani avec Sophie Gebeil à TELEMMe). Il y a aussi les doctorants et post-doctorants de MESOPOLHIS qui travaillent sur les thématiques de l’observatoire et s’investissent, Matthieu Demory entre autres. Ensuite, lors du déploiement des enquêtes, nous recrutons des stagiaires, car je crois à la formation par la recherche. Depuis son ouverture, l’observatoire a accueilli plus d’une quinzaine de stagiaires. En ce qui concerne le modèle actuel; j’assure une coordination globale en étudiant et validant les propositions d’enquêtes que nous recevons en répondant aux sollicitations pour aller présenter l’observatoire. Chaque enquête dispose d’une personne dédiée à sa coordination. Nous recrutons ensuite en fonction des enquêtes et des budgets des chargés de recherche. Gloria Romanello, par exemple, était déjà dans l’équipe de MP2013 ou enocre Rémi Boivin recruté récemment pour une enquête avec la ville et l’office du tourisme d’Arles. 

F.T : Quel(s) protocole(s) sont menés dans le cadre des enquêtes ?

S.G : Nos études sont systématiquement ajustées, territorialisées et construites de façon collaborative. Nous pouvons proposer de la très petite enquête sur trois mois, qui coûte simplement la rémunération d’un stagiaire plus ses frais de déplacement, à la très grande enquête qualitative et quantitative plus complexe. L’enquête est calibrée en fonction de l’expérience et des compétences de la personne qui la mène (étudiant de master, postdoctorante ou bien moi). 

Le choix de la méthodologie à mettre en place, questionnaires, entretiens, focus group ou observations, se fait en équipe en prenant en compte nos expertises et nos expériences passées.

L’originalité de cet observatoire, c’est le périmètre sur lequel nous intervenons. De multiples compétences et savoir-faire des spécialistes y sont réunis en sociologie, information-communication ou encore anthropologie. Cela nous permet de pouvoir répondre à des demandes qui proviennent de l’université, tout en étant force de propositions vers l’extérieur. 

De notre côté, suite aux enquêtes, nous ne perdons pas de vue l’aspect académique, scientifique et la valorisation. Nous publions des articles sur notre Carnet de recherche, dans des revues thématiques et menons d’autres actions de valorisation, notamment en participant à des colloques, rencontres, en France ou à l’étranger. Récemment par exemple, nous avons présenté l’observatoire en visioconférence au Brésil, dans le cadre des 20 ans de l’Observatoire des musées et des centres scientifiques et technologiques de Rio de Janeiro. 

F.T : Pouvez-vous nous parler de quelques enquêtes qui sont actuellement en cours ?

S.G : Toutes nos enquêtes en cours et à venir sont répertoriées sur le site internet de l’Observatoire des pratiques et des publics de la culture. Les thématiques sont multiples : culture scientifique, arts-sciences, art contemporain, musées et institutions, arts numériques, cinéma et images… Nous travaillons actuellement avec les musées, le fonds régional d’art contemporain FRAC Sud, le pole image de l’Alhambra — Pôle Régional d’éducation aux images, la ville d’Arles, etc.

L’une des grandes enquêtes à venir est issue d’une collaboration avec la direction culture et société d’Aix-Marseille Université, le SCD et le théâtre Antoine Vitez. Elle vise à connaitre, décrire et comprendre les pratiques culturelles des étudiants. Cela permettra de définir leurs spécificités et de suivre leurs évolutions pour pouvoir les mettre en lien avec l’offre territoriale. 

L’enquête est menée depuis cet automne (ndlr : automne 2023) via des focus groups avec des étudiants et des entretiens individuels. La mise en place de questionnaires et d’entretiens complémentaires est également prévue. Les participants dans la première phase de cette enquête ne savent pas que l’enquête concerne leurs pratiques culturelles. Nous procédons par focus group pour que la manière dont ils pensent et parlent de la culture émerge naturellement. Il est prévu que cette enquête soit reconduite régulièrement auprès de la population étudiante, tous les trois ans environ.
 

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Photo de la compagnie DANSE'AMU qui se produit sur scène lors des 10 ans d'Aix-Marseille Université au Cepac-Silo le 22 novembre 2022. Crédit : Z'ART FILMS Production/Agence It Com

Elisa Ullauri mène une autre grande enquête sur les publics et non-publics du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) PACA à l’échelle du quartier de la Joliette. C’est un partenariat très constructif, car le projet de Muriel Enjalran, la directrice du FRAC, est justement de « faire société », et de poser cette question des publics et des pratiques sur un territoire donné. Nous pouvons aussi citer l’enquête pour cartographier les acteurs de la culture scientifique et les pratiques de médiation à l’échelle du territoire, menée par Maria Elena Buslacchi, dont nous allons prochainement présenter les résultats.

Photo prise d'une salle du FRAC Marseille lors d'une étude de publics. On y voit 3 visiteurs de dos.
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F.T : Enfin, quelles sont les ambitions futures ?

S.G : À court/moyen termes, nous aimerions mettre en ligne une plateforme de données ouverte grâce au soutien de la Plateforme Universitaire de Données d’AMU et l’aide de Clément de Belsunce pour rendre accessibles nos données et partager nos protocoles. Nous aimerions aussi créer une collection sur l’archive ouverte HAL dédiée à l’observatoire dès l’année prochaine. Nous y mettrons les articles, les diaporamas de restitution des résultats, ainsi que les synthèses lorsque les commanditaires seront d’accord pour les diffuser. 

À plus long terme, nous pourrions partager ce dispositif, afin que l’observatoire serve de modèle pour d’autres à l’échelle des universités. Toutes les universités de France ont des départements de sociologie, d’information-communication, d’anthropologie, etc. Toutes sont sur des périmètres, des territoires où l’offre culturelle est spécifique : le modèle pourrait être répliqué ! Si les observatoires des publics et des pratiques de la culture se multipliaient en France, cela ouvrirait des perspectives de comparaison entre villes, entre régions, à l’échelle nationale, etc. À l’heure actuelle, tout le monde avance séparément (l’État, les villes, les musées, les universités…) et il est difficile de comparer, car tout le monde n’utilise pas les mêmes méthodes ou indicateurs. Et ce qui se fait à l’échelle nationale par exemple par le DEPS ne permet pas de prendre en compte les spécificités locales, territoriales. 

Pour les trois ans à venir, nous avons aussi un nouveau projet que nous venons de démarrer : PubLiCS. Nous avons décroché un financement dans le cadre de l’appel Transfert d’A*Midex sur le volet partenariat avec le monde socio-économique et culturel. C’est doublement positif ! Cela permet de développer un travail collaboratif sur les publics et la médiation avec des partenaires diversifiés (les musées de Marseille, le fonds régional d’art contemporain, l’Alhambra, l’association Marseille Capitale de la mer, le Laboratoire d’Intelligence Collective et Artificielle [Tiers Lab des transitions], la CISAM, la SATT…), et cela montre que le modèle proposé avec l’observatoire va dans le sens que les chercheurs attendent. Ce que nous souhaitons c'est plus de liens avec les mondes socio-économiques et culturels pour contribuer au dialogue science et société.

Si vous voulez en savoir plus sur l’Observatoire des pratiques et des publics de la culture, rendez-vous sur leur site ou bien sur le carnet de recherche : Public(s).

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Girel
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Sylvia
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Professeur de sociologie rattachée au Centre Méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire (MESOPOLHIS) et coordinatrice de l’Observatoire des pratiques et des publics de la culture
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